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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 10:37

                      Le moins philosophique, le pire que vous puissiez proposer dans un devoir de quatre heures, c’est bien sûr de dire votre opinion dans un exposé rapide avec du pour et du contre qui sont le pour vu de votre point de vue et le contre vu de ce même point de vue, présenté comme une antithèse alors que c’est la même thèse.



    En général l’opinion ne voit partout que des faits particuliers. Donc la pensée de l’universel devient un fait particulier parmi d’autres. La vérité perdue entre mille opinions devient une opinion parmi d’autres. Le particulier et l’universel deviennent deux particularités parmi d’autres, comme Laurel et Hardy, Hardy étant plutôt l’universel parce qu’il est plus gros…



     Le pour et le contre vus du même point de vue, ne sont pas une thèse et une antithèse, en tout cas ne sont pas deux hypothèses différentes,     mais la même hypothèse, incapable de se penser comme hypothèse, sans distance, et se posant déjà immédiatement comme thèse.

 


    Comme vous savez que Dieu n’existe pas, ou au contraire qu’il existe, vous faites d’emblée votre examen des points de vue opposés d’un seul et même point de vue. Si vous avez déjà le préjugé que Dieu n’existe pas, lorsque vous envisagez le point de vue du croyant ou, chose différente, du métaphysicien qui affirme Dieu, vous proposez une caricature de Dieu, transformé en dictateur qui maîtrise tout, en Père castrateur qui annihile toute liberté humaine, vous imaginez le savoir absolu comme un puzzle achevé dont l’inertie est totalement ennuyeuse, et vous décrétez que la vie n’aurait pas de sens si on savait tout, et donc qu’il faut chercher la vérité en espérant ne jamais la trouver, ce qui a évidemment beaucoup plus de sens, cela crève les yeux…

      (Sans bien sur distinguer expliquer de comprendre, savoir étant un terme vague.)

 


     Si inversement vous avez déjà le préjugé que Dieu existe, vous examinez d’emblée les critiques de la religion ou de l’universalisme comme des formes de relativismes incapables de se réfléchir et de se légitimer, et vous ne prenez pas le temps d’examiner attentivement les modèles d’universalisme ou de divinité qu’elles rejettent ni les raisons précises de ce rejet.


 


    C’est comme si vous étiez de gauche et que vous présentiez deux points de vue opposés en montrant la droite vue de la gauche opposée à la gauche vue de la gauche (ou comme si vous étiez de droite et qu’à la gauche vue de la droite, vous opposiez la droite vue de la droite). On croit faire le pour et le contre, on fait seulement le pour et le contre de la même hypothèse d’emblée posée comme thèse sans distance, sans envisager de vraie hypothèse concurrente.

 

 

                    Bref la pensée vraiment critique, c’est difficile parce qu’il faut faire un travail affectif sur ses préjugés, et que cela demande du courage, du temps, de la maturation, des vraies raisons d’oser un tel risque, d’autant qu’un travail affectif sur soi est véritablement déstabilisant, sérieusement risqué.

 

 


      Autant dire que, puisque c’est cela que je vous demande, je vous demande vraiment l’impossible, et c’est pourquoi vous n’avez pas lu le blog, pendant ces vacances où vous aviez sans doute du temps,  ni ne le lirez sérieusement pour certains, parce que à la hâte, et que le sérieux qui rendrait philosophique la réflexion est à proprement parler improbable.


 


     Or l’improbable est, comparé à une infaillible technique de formatage, d’un intérêt incomparable, ce dont on s’aperçoit en tentant un instant la comparaison pour voir qu’elle ne tient pas. Rencontrer des libertés qui, peut-être, tenteront un travail sur soi pour devenir encore plus libres, mais peut-être pas, et que la possibilité pour que cela se produise soit improbable, voilà qui est, véritablement, exceptionnel.

 

 

 

 

 

                De quoi parle un cours de philosophie, quelles hypothèses confronte-t-il ? Il confronte surtout d’abord deux hypothèses simples et fondamentales : qui a les pleins pouvoirs, est-ce le particulier ou l’universel, sont-ce les parties ou est-ce le tout ?


       Une fois pensées ces deux hypothèses, mais vraiment pensées, alors on peut essayer de comprendre pourquoi ni l’une ni l’autre ne parvient à satisfaire l’enquête.

 


       Ces deux hypothèses sont développées, argument par argument, dans les deux cours proposés jusqu’ici, l’un sur la matière et l’esprit, l’autre sur la conscience et l’inconscient.

 


      Ils ont le mérite de proposer plusieurs modèles de matière ou d’inconscient, de conscience ou d’esprit…

 


      On retrouve chaque fois les mêmes enjeux : si la matière n’est que particularité, par conséquent inconsciente, et si la conscience n’est que le reflet de cette matière morcelée en parties bornées sans réelle ouverture, alors il ne peut y avoir aucune autonomie de la conscience, si bien que cette conscience sans autonomie ne peut pas savoir ce que sont la conscience et l’inconscient, sur lesquels elle ne peut qu’avoir des préjugés grossiers et caricaturaux.

 

 


    Or cela peut être vrai pour la conscience de tel ou tel, à tel moment, mais cela vaut-il pour toute conscience, pour la conscience ? Bref cette hypothèse très pertinente a-t-elle valeur de thèse ? Peut-elle avoir une telle valeur sans se contredire ?

 

 


    Non bien sûr qu’elle ne le peut pas, et si elle était juste, ce ne serait que par chance, et encore, il est étrange que cette conscience sans autonomie ait justement l’idée de ce qu’il faudrait pour qu’elle ait cette autonomie qu’elle prétend ne pas avoir.

 

 


     Mais si elle ne peut valoir comme thèse, peut-être est-elle une bonne description particulière de ce qui arrive en grande partie pour une conscience qui n’est que faiblement autonome, comme la mienne, en ce moment, dont tout le monde ne voit que trop les limites.   Il ne faut donc pas négliger les modèles qui insistent sur l’hétéronomie de la conscience car ils ont sans doute une réelle pertinence et une valeur libératrice, vers une autonomie plus grande.

 


 

      Il faut aussi faire l’effort de comprendre les concepts fondamentaux : le particulier, le général, l’universel, d’une part, qui forment le domaine de la connaissance, mais si la connaissance exige du recul par rapport au particulier, au général et à l’universel, peut-être que ce recul, cette distance, n’est rien de particulier, ni de général, ni d’universel (les graviers et les choux n’ont pas ce recul…) alors il faut un autre concept pour dire ce qui n’est ni particulier, ni général, ni universel. Nous avons proposé de parler de singularité, et de lier la singularité à l’altérité, qui n’étant ni maîtrisable, ni représentable, ni définissable par concepts maîtrisés, pouvait être dit dans des signes risqués, en vue d’une ouverture existentielle du système permettant de laisser ouverte la possibilité d’une liberté non maîtrisable.

 

 


     Plutôt que de confier cette liberté non maîtrisable à un pur aléatoire ou à un pur « flou artistique », nous avons tenté de la situer ailleurs : pas maîtrisable parce que pas explicable par des mécanismes, ni représentable en schémas objets, cette liberté peut avoir un sens compréhensible.  Tout repose donc sur la distinction entre expliquer et comprendre.

 


 

      On n’explique pas le temps, ni l’infini, ni autrui, ni le sens d’un poème ou d’un geste, mais on les comprend. Conscience, volonté, parole sont à comprendre, non à expliquer.

 


   Par contre on peut expliquer comment une vis pénètre dans le bois, comment procéder pour que les six faces d’un rubiks cube soient toutes unies, comment fonctionne un moteur à explosion…

 


   L’inconscient, en tant que partie du réel, est extérieur aux autres parties, et est donc partiellement explicable. Mais en tant qu’il fait signe, signifie, parle, désire, il est aussi à interpréter et à comprendre. Or on ne peut sans contradiction être un objet explicable et une totalité signifiante.

 


   Pour lever cette contradiction, il faut supposer que l’inconscient, de même que ma conscience finie, ont un rapport au Singulier, comme toute chose d’ailleurs, par quoi rien n’est totalement explicable, mais toujours pour une part à comprendre. Le minima de compréhension pour toute matière est l’irréversibilité du temps universel qui traverse tout, et qui ne s’explique pas.

 


 

 

               Tout cela, pour l’instant, est peut-être pour vous du charabia. Mais peut-être sentez-vous quand même, même confusément, qu’il y a là-dedans une sorte de sérieux, suffisant pour motiver le désir d’y aller voir de plus près.

 


     Si vous trouvez le temps, il est probable qu’en lisant matière et esprit, en parallèle avec conscience et inconscient, et la démonstration lorsqu’il seront rédigés, vous parviendrez à faire évoluer votre aptitude à conceptualiser. Cela suffira à donner à vos devoirs une valeur philosophique.

 

 


 

 

 

         Il vous faut donc distinguer des modèles de matière où il n'y a que des particules, (qui existent ou bien en un unique exemplaire, ou bien qui ont ressemblances avec d'autres mais seulement générales, ou bien qui ont des points communs avec toutes les autres et qui sont universelles) distinguer ces modèles d'autres modèles où la matière serait traversée par du singulier, par une altérité, au moins le temps.

 

 

 


        Même chose avec l'inconscient et même chose avec la conscience. Par moment, Freud théorise l'inconscient comme un système composé de particularités mécaniques soumises à un déterminisme explicable. Par moment Freud interprête l'inconscient comme s'il avait du sens et formait une totalité soucieuse de soi.

 

 


         De même la conscience chez Freud est tantôt une conscience psychologique qui s'explique par l'inconscient et n'est que superficielle, tantôt elle est une conscience qui consent à une relation de parole avec la conscience d'un autre et qui consent à un travail de l'inconscient en vue d'une libération.

 

 

 


       De même chez Descartes où la conscience est tantôt immédiate, transparente à soi, maîtresse du corps, et tantôt liée à un infini qui la dépasse, qu'elle ne peut contenir, mais qui lui donne d'être ouverte et éclairée. 

 


       Chez ce même Descartes, le corps est tantôt un objet mécanique, tantôt le voilà qui est mélangé à l'âme, alors que cette union est en droit impossible, si bien qu'il devient capable de contenir du sens qui échappe à ma conscience: Un Descartes dit qu'il ne peut y avoir d'inconscient psychique, mais un autre dit le contraire? Un Descartes dit que la conscience se connaît parfaitement elle-même, un autre dit qu'elle est traversée par un infini qui la dépasse: Est-ce le même, ou est-il re-né entre temps?

 


 

 


       On voit bien que la question de l'altérité est présente chez tous ces auteurs, mais sans être reconnue ni clairement nommée ou clairement située. 

 


 

 

       Une fois que tout cela a été distingué, vous pouvez penser que c'est peut-être la même altérité singulière qui relie secrètement la conscience, l'inconscient, la matière, et qui permettent de comprendre les paradoxes de ce drôle de vivant qu'est l'être humain, à la fois fragile et puissant, à la fois idiot, borné, et génial, démesuré, du genre à mourir à cause d'un virus alors qu'il vient d'inventer un moyen de voyager vers les étoiles...du genre à comprendre des vérités d'une profondeur forçant le respect, qui seront encore vénérables dans des millénaires, et à se mettre en colère parce qu'il échoue à réparer quelque mécanique d'une importance très limitée, mais dont la résistance l'exaspère à proportion de sa faible importance justement...


 

     Comprendre qu'on puisse être à la fois si digne et si peu de choses, alors que l'un semble contredire l'autre.

 

 

 

       ....

 

       ...

 

       ..

 

 

 

       Point.

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commentaires

E
Bonjour M. Pontoizeau,<br /> <br /> Si je ne fais pas erreur, vous êtes bien mon prof de philo de Notre dame de toutes aides.<br /> <br /> Si c'est le cas, je suis assez émue car plusieurs fois j'ai cherché à vous recontacter, en vain, pour vous exprimer ma gratitude d'avoir, si jeune, éveillé mon esprit.<br /> <br /> C'était en 2005 et 2006, cette petite classe de L de 13 élèves, parmi lesquels Mathilde Cassard, Amandine Phelippon, Fabrice Mbewa, Fanny, Nathalie, Pauline, et un Allemand que nous avions accueilli quelques temps. Et moi Élodie Chaventré.<br /> <br /> J'espère que vous mettez toujours autant de coeur à votre métier.<br /> <br /> Très bonne soirée,<br /> Élodie
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