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28 octobre 2011 5 28 /10 /octobre /2011 17:43

 b) Hegel et l'horizon du savoir absolu dans l'Etat Monde mondial.

 

         Je vous expose d'abord ici la philosophie de l'histoire et un aperçu de la philosophie politique de Hegel, en b1) et en b2) je vous parle de la question du travail vue par Hegel avec notamment la partie consacrée à la domination et au rapport maître/esclave.


 

b1) La critique de Kant par Hegel et sa philosophie de l'Histoire universelle.

 

              Hegel reproche deux choses surtout à Kant : D’abord au plan théorique Hegel est convaincu que notre rapport à l’absolu n’est pas seulement moral mais contient un élément de connaissance. D’autre part au plan pratique Hegel n’admet pas qu’on puisse séparer à ce point les phénomènes des noumènes, donc la sensibilité de la raison absolue. Il voit que cela entraîne un problème d’efficacité et de motivation concernant l’ardeur de l’engagement dans l’action. Ce que Hegel appelle « la belle âme » et dans quoi il inclut Socrate, Rousseau et ses rêveries du promeneur solitaire, enfin Kant, l’homme qui refuse de mentir ou de voler quelles que soient les circonstances, pas même par humanité, en cas d’extrême nécessité.



 

      Car un homme politique kantien, un homme politique qui ne ment jamais, n’est jamais hypocrite, ne dissimule jamais certaines de ses actions ou de ses paroles à certaines personnes dans certaines circonstances, est un doux rêve, un cercle carré, une franche contradiction, bref ne correspond à rien de réel ni même de possible pour Hegel. En démocratie il est impossible de trouver un homme politique qui n’aime passionnément le football et le rugby, et s’il existe prochainement un sport national consistant à déplacer des citrouilles en leur lançant des tomates à dix mètres, organisant ainsi des courses de vitesse de citrouilles tomato-tractées, on peut s’attendre à un soutien politique unanime avec ferveur et émotion dans la voix… pourvu que la majorité des électeurs potentiels soit fans de ce nouveau sport.

 


      A d’autres époques, la démagogie est remplacée par l’hypocrisie religieuse ou par des apparences de noblesse, mais c’est une constante qu’on doive faire beaucoup de concessions pour exercer le pouvoir.

 

 

 

                      Hegel pense d’ailleurs en effet que la marche du monde ne suit pas la raison des hommes de bonne volonté qui seraient mus par l’impératif catégorique kantien mais qu’elle est entraînée par le jeu des passions des hommes, ce qui correspond assez bien à l’insociable sociabilité de Kant. Seulement ce jeu des passions, global, universel, n’est pas seulement notre point de vue sensible sur le réel, mais l’existence véritable de la finitude et de ses aspects résolument négatifs, tels la bêtise fière de l’être, la cruauté, la souffrance absurde, qui doivent nécessairement exister pour que l’infini n’ait rien en dehors de lui, ne soit pas borné et soit donc réellement l’infini, sans contradiction.

 


 

       Car Hegel, comme plus tard Feuerbach, qui sont les deux pères modernes de Marx, au-delà du vieil Epicure, pense qu’il n’y a rien de plus grand que le christianisme, et qu’il faut tout de suite en sortir.

 

 


        Il faut donc partir de l’infini du christianisme, omniscient, omnipotent, et, surtout, SUJET ! mais il faut tout de suite en sortir puisque cet infini, qui n’est que savoir, bonté, liberté, a en dehors de lui la finitude de l’ignorance, de la fatigue, de la paresse, mais surtout en dehors de lui le négatif de la cruauté et du vice. Là où commencent le fini et surtout le négatif, là s’arrête l’infini, qui est donc limité, borné, et qui est donc un infini contradictoire, or toute contradiction, c’est bien connu, se supprime. (Bref aucun chrétien ne croit que Dieu ait des moments de fatigue, des douleurs ou des maladies, encore moins qu'il ait plaisir à torturer ou à dire des obsénités accompagnées de satisfaction stupide.)

 

 


             Car Hegel, il faut toujours s’en souvenir, est logicien, comme Aristote. Son Dieu sera, comme THEOS chez Aristote, logique et conceptuel. Au lieu de penser le concept de Tout façon Aristote, qui s’en tient à une logique d’entendement, une logique du fini, une logique du tiers-exclu, Hegel se risque dans une logique dialectique, une logique qui développe le contenu de l’Infini comme concept, le contenu d’un seul concept, le concept d’Infini. (Qui sera fini lui aussi, sous forme d’un système clos, sans véritable référent transconceptuel, mais ce système clos est quand même bien plus ouvert, du point de vue de son contenu logique en tout cas et non existentiel, que celui d’Aristote,  puisqu’il inclut les formes finies dans la totalité de celles qui sont nécessaires pour les rattacher à la forme totale et pure, infinie au sens de Hegel, totale au sens d’Aristote, bref divine, et c’est cette synthèse qu’Aristote ne pouvait réussir, avant le christianisme, parce qu’il lui manquait la Trinité et l’infini antérieur au fini, et la Subjectivité comme principe, que Hegel formalise dans une dialectique, pour le meilleur et pour le pire.)

 

 

 

 

 

         L’Infini avec un « i » majuscule, c’est 1°l’infini du christianisme (avec un « i » minuscule parce que fini, contradictoire, unilatéralement parfait qui a l’imparfait hors de soi) 2° sa négation (sa propre négation, l’acte par lequel il se nie de soi-même, son autonégation) et 3° son retour à soi-même dans son autre. Cela forme la trinité logique de Hegel, le contenu total du concept d’Infini, qui contient l’infini abstrait, sa négation, son retour à soi-même : ce mouvement complet est l’Universel Concret, l’Infini Concret et non abstrait, pleinement développé, qui a achevé sa pleine croissance logique en passant par le fini qui est son négatif. Telle est la logique de Hegel, trinitaire mais sans altérité existentielle transconceptuelle, sans mystique véritablement mystique, bref à la fois très proche du christianisme et aux antipodes de celui-ci, comme l’a bien compris Soeren Kierkegaard. 

 

 

 


 

       Donc l’infini contradictoire du christianisme, auquel il manque le fini, se nie.

 

 


     De sujet infini il devient fini, niant son infinité : sujet ignorant, sujet impuissant. On imagine le premier homme qui ignore qu’il est sujet et qui ignore la nature comme objet.

 


     De sujet infini il devient objet, niant sa subjectité : il se fait nature sans conscience ni volonté, ni logique conceptuelle, nature minérale, végétale, animale, voire passionnelle et pulsionnelle en l’homme ? 

 


 

      Bref : le résultat de la négation de l’infini par l’infini, son autonégation, est le face à face sujet-objet, qui met d’abord l’homme nu aux prises avec une nature dont il ignore tout, et qui s’ignore lui-même capable de la transformer radicalement par son activité, son travail, sa volonté. L’homme est donc d’abord fataliste, il se pense comme une simple partie de la nature, il se pense à partir d’elle parce qu’il ne voit d’abord qu’elle. Seule la médiation de l’histoire lui révélera peu à peu autre chose qu’elle. (L’agriculture comme manifestation de l’être humain dans les écrits de Louise Browaeys par exemple…)

 

 


       La chute incompréhensible de l’âme divine dans des corps sensibles chez Platon devient ici la nécessité logique par laquelle l’infini doit se nier pour dépasser sa contradiction d’avoir le fini hors de soi et donc d’être borné, d’être un infini-fini.

 


 

  La contradiction de l’infini auquel il manque le fini ne sera surmontée qu’à la fin de l’Histoire, lorsque de nombreux hommes auront pu comprendre le savoir absolu parce qu’ils seront universitaires dans un Etat Monde mondial où toutes les contradictions importantes auront été surmontées.

 


   Mais avant, il va falloir surmonter d’autres contradictions : la contradiction sujet/objet, la contradiction hommes-libres/esclaves, la contradiction nature/liberté, qui vont être progressivement dépassées par le progrès historique, qui est rationnel parce qu’il avance en surmontant des contradictions rationnelles.

 

 

 

 

     La contradiction de l’homme et de la nature n’est pas perceptible à l’homme au départ, il s’ignore comme sujet, il est conscience heureuse immergée dans la nature : c’est la fusion animiste, pour laquelle théoriquement l’homme est une partie de la nature, et pour laquelle pratiquement, politiquement le pouvoir appartient à tous de façon diffuse et confuse, vaguement centralisée dans un chef charismatique qui n’est pas une institution objective.

 


    (1)  Théorie,  vérité,  la thèse est : le réel est la nature sensible. L’homme sensible pense et sent, et se voit comme on voit une pierre ou une branche. C’est que tout est plein d’âme : animisme primitif. Le vent a une âme, et les pierres, et le feu, et chaque lieu : ce bois, cette vallée, ce rocher.

      Pratique, politique : le pouvoir appartient à tous, tous participent à la vie en commun et exercent une part de pouvoir. Le sorcier, le chaman, n’ont pas un grand pouvoir, ils sont juste une vague concentration du pouvoir de tous… Au fond, il n’y a pas d’institutions, on peut dire que le pouvoir n’appartient à personne, qu’il est diffus dans la nature confuse, dans la fusion avec Mère Nature Sensible.

 


 

   (2) L’antithèse : le despotisme oriental. Le pouvoir appartient à un seul, la spiritualité de même reconnaît surtout un seul qui ne se réincarnera pas. La thèse, la vérité, c’est que la nature sensible n’est qu’illusion, et que le vrai Réel est le suprasensible. Il faut se déprendre de l’illusion du sensible.

 


 

   (3)  La synthèse : le monde grec, qui tente de tenir ensemble l’animisme primitif et le monde oriental, en cherchant non pas à fusionner avec le sensible ni à s’en évader mais à bâtir une science rationnelle du rapport entre le sensible et l’intelligible. Il s’agit de comprendre comment le sensible peut donner naissance à l’intelligible, ou inversement comment l’intelligible pourrait produire le sensible et sa diversité foisonnante.  Les Présocratiques d’abord, puis Socrate, Démocrite, Platon, Aristote,  les Epicuriens et les Stoïciens cherchent à bâtir une théorie qui rende compte du Tout et des parties, du particulier et de la pensée de l’universel.

 


    Politiquement, le pouvoir n’appartient pas à personne, ni à un seul, mais à plusieurs : soit un collège de sages, puis jusqu’à une classe d’aristocrates, voire même un grand nombre de citoyens libres dans la démocratie restreinte athénienne. Certes il y a des esclaves, de même les étrangers, les femmes, les enfants n’ont pas un droit d’expression politique, mais enfin ceux qui sont reconnus libres argumentent et débattent à plusieurs en un sens déjà très ouvert des questions d’intérêt général.

 


     Mais les grecs ne parviennent pas à résoudre la contradiction de la nature sensible et de la nature intelligible. Ni la contradiction des hommes libres, qui ont un pied dans l’argumentation raisonnée, et les esclaves qui sont enfermés dans des fonctions purement sensibles, comme les enfants ou les femmes utiles à la procréation, ou les étrangers utiles au commerce, les métèques. Ne parlons pas des non grecs, des barbares, qui ne parlent pas mais font du bruit avec la bouche quand ils l’agitent, les barbaros, presque borborygmes. La mondialisation, ce n’est pas encore dans les projets…

 

 

 

 

              (4)       La grande antithèse à ces trois premières théories, ce sera la Révélation (Révolution ?) judéo-chrétienne, qui pense une alternative à la Nature, qu’elle soit sensible ou intelligible : Dieu n’est pas Nature, il n’est ni nombre, ni conflit, ni eau, ni terre, ni amour et haine au sens d’Empédocle, qui ne décrit là qu’attraction et répulsion physiques et physiologiques, ni atomes, ni intellect, mais il est « Je suis, Je suis qui Je suis, Je suis qui je serai : Je suis c’est mon nom. » Je suis à la première personne du singulier, la distance de la liberté vis-à-vis de la nature, la distance de la grâce et du don issus d’un infini surnaturel, tel est le divin.

 


 

                     Sur le plan théorique, on devine le potentiel de ce renversement : si Dieu n’est pas immobile inactif mais créateur, peut-être pour connaître la nature faudra-t-il se risquer à construire, à faire, à être dynamique comme est dynamique le Créateur : la science, de purement contemplative, pourrait bien s’incorporer des éléments d’activisme plus technicien. L’homme a l’image d’un créateur surnaturel peut toucher en profondeur à la nature sans toucher au sacré qui est Autre, il peut donc avoir un droit de transformation technique et de soumission domination des autres vivants.

 


                      Sur le plan pratique et politique, la liberté appartient à tous : tous sont également dignes, tous sont également appelés à la Résurrection, les femmes comme les hommes, les pauvres comme les riches, les malades comme les bien portants, les aveugles et les boiteux comme ceux qui ne sont pas handicapés, même les enfants et les esclaves, même les hommes qui par éducation n’ont pas de religion sont concernés par le message d’amour adressé à tous. Bref les différences de nature, ainsi que les différences socio-politiques, ne sont que relatives, face à un absolu tout Autre : « Mon Royaume n’est pas de ce monde ! » « Il n’y aura plus ni hommes ni femmes » « Certains se sont faits eunuques pour le Royaume des Cieux. » Tout cela signifie que l’ordre de la Grâce transcende l’ordre de la nature. L’homme libre est esclave du Christ et l’esclave libéré en Christ, s’amuse à dire l’apôtre Paul pour relativiser l’ordre ancien, annonçant un homme nouveau qui vient après : puissance du possible, puissance de la foi, puissance du risque vers le prochain. « De toutes les nations faites des disciples » : une mission s’ouvre, qui concerne les juifs et les païens, les circoncis et les non-circoncis, qui dessine à la fois un programme de mondialisation d’une bonne nouvelle issue de l’infini, qui concerne tout homme parlant, voulant, conscient, et qui ouvre une histoire de proclamation du kérigme, de la bonne nouvelle : il est ressuscité, la mort n’est pas le dernier mot, la victoire ultime. L’infini peut l’impossible, il transcende la nature et l’essence.

 


 

                    Mais cette libération n’est que métaphysique et affective, abstraite, elle ne réalise pas ce qu’elle proclame ni ne connaît les moyens efficaces pour y parvenir. Pure piété subjective et vœux pieux de la belle âme, elle ne peut se réaliser telle quelle. Elle compte sur la Providence et la Grâce sans trop savoir comment agir pour réussir à propager efficacement son idéal. Elle croit à l’importance irrationnelle aux yeux de Hegel de l’individu singulier et s’appuie sur une Eglise mystique que l’institution doit seulement rendre visible qui est pour Hegel un délire de l’imagination.  La contradiction entre le Royaume annoncé et la situation historique réelle des hommes est telle que l’histoire doit encore avancer pour la surmonter.


 

         Certes le christianisme envahit assez vite l’Empire romain, mais celui-ci s’effondre et l’Antiquité s’arrête, pour laisser place au Moyen-Age.

 


 

       (5)   Le Moyen-Age est justement la tentative de synthèse entre la science démonstrative des grecs et la foi du judéo-christianisme dont le christianisme est la pointe.

 


   Augustin, fin de l’Antiquité, est surtout lu au Moyen-Age et représente la tentative de synthèse de Platon et du christianisme. Thomas d’Aquin fin Moyen-Age sera la tentative de synthèse d’Aristote et du christianisme.

 


   Mais pour Hegel le Moyen-Age, parce qu’il est théocentré, centré sur la Grâce et la Providence, ne peut réussir à surmonter les grandes contradictions du monde, il cloisonne le meilleur de la religion dans le monastère chargé de transmettre la culture.  L’anonymat des moines ne favorise pas l’audace et la créativité, la subjectivité individuelle n’est pas assez reconnue. Il faut une antithèse pour avancer.

 

 

 

 

    (6)  La Modernité sera cette antithèse : Elle revient aux grecs, mais avec la subjectivité du christianisme. L’homme se pense comme sujet, il se met au centre de sa représentation du monde. Il peut douter des institutions, c’est le protestantisme, ou douter de l’adéquation de sa représentation du monde : c’est le Quichotte de Cervantes, qui se représente des géants alors qu’il attaque de simples moulins, enfermé qu’il est dans l’imaginaire chevaleresque médiéval si fantasque. C’est Descartes faisant l’hypothèse du Malin-Génie et ne retenant momentanément pour certain que l’évidence subjective intérieure du Cogito. Ce sont les autoportraits de Rembrandt ou de Velasquez. Le tableau dans le tableau, le roman dans le roman, l’entrée dans le monde d’une représentation du monde, bref un monde dans un monde, voilà la Modernité.

 

 

 

 

       Pour s’assurer de l’adéquation de cette image (ou représentation) subjective du monde avec la réalité objective du monde hors du cerveau, on pourra tenter de transformer la nature par la technique et lui donner comme mission de nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature », comme dit Descartes, donc à l’image de Dieu qui lui est maître et possesseur.

         

 

             La connaissance ne sera donc plus seulement spéculation et réflexion philosophique mais initiative expérimentale techniquement assistée. Des techniques de reconstruction permettront de se représenter la nature en longueur, largeur et profondeur et même d’y ajouter en quatrième dimension l’axe du temps représenté en extériorité comme un espace de quatrième dimension étalé autrement que les trois autres.  La peinture aura sa technique pour représenter avec exactitude le relief, par la méthode des points de fuite : la représentation géométrique maîtrisée par un sujet à distance de la nature est pleinement opérationnelle dans tous les domaines de la Modernité.

 

 


 

      La politique ne sera plus seulement une classe qui organise les autres, qu’elle soit militaire ou religieuse, ni un ensemble plus ou moins mû par la Providence, mais va changer de sens pour être rattachée à l’idée que tous les hommes sont en droit de libres subjectivités devant leur créateur ou même pour les humanistes incroyants de libres subjectivités tout court. L’institution politique au lieu d’être pensée comme un fait de conquête et de force ou un fait autorisé par la Providence va prendre la signification d’un contrat. Même la monarchie absolue prend chez Grotius ou Puffendorf le sens d’un contrat : le Roi a des comptes à rendre devant Dieu , il représente le pouvoir devant le peuple et représente le peuple devant Dieu, bref le politique devient à la fois une institution objective et a le sens subjectif d’une représentation donc d’un contrat qui repose tacitement sur un accord des libres arbitres distants de la nature.

 

 


 

      Mais ce contrat de droit divin n’est pas égalitaire, or l’Egalité en dignité de tous les hommes, l’idée de droits de l’homme qui seraient métaphysiquement égaux en droits, n’entre pas dans les contrats monarchiques de la Modernité. Il faut donc avancer encore pour surmonter cette contradiction, entre une chrétienté qui affirme l’Egalité et qui ne lui donne pas de réelle représentation politique.

 

                   Comme le dit Burke, alors qu’il refuse la Révolution française et qu’il exprime la mentalité des hommes qui soutiennent la légitimité de la Monarchie : « Autant les droits de l’homme sont vrais métaphysiquement, autant ils sont faux moralement et politiquement. » Burke admet l’Egalité métaphysique de tous les hommes, créés par Dieu, autant il conteste leur égalité morale et politique, parce que la faute leur fait faire un usage inégal de leur libre arbitre. Il y a donc contradiction entre le fondement du contrat, l’Egale dignité, et le fait, l’usage du libre arbitre, comme il y a contradiction entre le vrai et le faux. Or l’Histoire avance en surmontant les contradictions, une Révolution était de fait et en droit inévitable pour Hegel.

 

 


 

    (7)  La violence de la Révolution la fait apparaître comme une véritable antithèse à la Monarchie : le peuple dans la rue, chaque individu citoyen, à Egalité avec tous les autres, se reconnaissant représentés par des hommes du peuples, voilà bien la nouveauté : abolition des privilèges, reconnaissance des individus dans leur droit à s’exprimer, à croire ce qu’ils veulent, à circuler, à entreprendre.

 

 


    Pour Hegel, la Révolution fait entrer dans le monde politique le principe d’Egalité des Evangiles, mais il est porté par la même abstraction, aggravée par l’individualisme. C’est donc à la fois un principe anarchique qui ne peut s’organiser de manière durable et cohérente, et un principe d’égalité abstrait qui refuse toute réalité concrète : la Terreur, sa destruction de toute donnée positive, son refus de la réalité historique et des héritages particuliers, sa volonté d’une liberté d’entendement immédiate voulant vivre seulement de grands principes, sont une sorte de fanatisme d’entendement inévitablement destructeur, qui ne se plaît que dans l’abstraction de l’individu libre et refuse la réalité des situations réelles.

 

 


    Vouloir faire un absolu des droits de l’individu et vouloir fonder un ordre durable sur une telle abstraction est donc voué à l’échec pour Hegel, comme pour Auguste Comte en 1830 qui ne voit rien d’autre dans les droits de l’homme qu’une abstraction théologico-métaphysique, un facteur d’anarchie. Marx ne sera pas plus tendre en y voyant surtout des droits de l’égoïsme, l’idéologie de la bourgeoisie. (Hegel et Comte ne regardent pas de très près ce qui se passe outre-atlantique...)

 

 


   Mais ce moment de l’Histoire universelle est néanmoins nécessaire pour redonner à la subjectivité sa véritable importance, avec le vertige d’infinie liberté qu’elle recèle. Le moment de la subjectivité est un moment essentiel, même s’il doit être situé dans un cadre plus vaste.

 

 

 

 

 

   (8 et dernier)   Le cadre plus vaste est celui de l’Empire de Napoléon. Hegel ne veut pas dire que l’histoire soit finie avec Napoléon, mais elle a montré sa figure définitive, son sens philosophique complet. Napoléon en effet est LA GRANDE SYNTHESE, il récapitule en lui, pour la première fois, la totalité des figures du pouvoir jamais connues historiquement. C’est donc le signe que l’Histoire est en voie de totalisation, puisque d’une part un homme récapitule tout ce qui l’a précédé dans l’action, (= Napoléon) et qu’un autre totalise tous les systèmes philosophiques jamais conçus dans une logique rationnelle complète, un homme qui est citoyen d’un grand Etat Moderne, vous aurez reconnu votre serviteur G.W.F. Hegel.

 

 

 

      Toutes les figures antérieures du pouvoir sont résumées en un seul homme :

Le pouvoir charismatique du chaman ou du chef de clan des sociétés animistes : Napoléon est tant aimé de ses hommes que certains sont prêts à quitter femme et enfants pour le suivre et vivent comme un honneur de mourir à ses côtés. Lorsqu’il s’évade de l’ile d’Elbe, et qu’on envoie des généraux pour le remettre en prison, ces hauts gradés envoyés l’arrêter sont retournés, en le voyant : il les regarde, leur parle, et voilà qu’ils repartent à ses côtés pour cent jours ! C’est peu dire que de parler de pouvoir charismatique. Hegel lui-même aurait aperçu Napoléon sur son cheval et aurait dit : « J’ai vu l’Histoire en marche ! »


 

 


Le pouvoir despotique : coup d’Etat, séquestration du Pape, rien ne doit lui résister et s’il le faut il emploie la force. Les déserteurs sont condamnés au peloton d’exécution. La volonté politique chez Bonaparte n’hésite pas à s’imposer de façon autoritaire et sans discussion.

 

 

 

 


Le pouvoir des grands conquérants de l’Antiquité : de même qu’Alexandre le Grand voulait propager la civilisation et la culture grecque éclairé par son précepteur Aristote, de même Napoléon veut répandre dans toute l’Europe les acquis et les idées de la Révolution. De même qu’Hannibal ou Alexandre sont des stratèges légendaires, de même Napoléon est entré dans la légende. De Clausewitz, spécialiste de la guerre, place si haut le génie militaire du Général qu’il estime qu’il n’échoue jamais, sauf si la tâche est simplement impossible, comme envahir la Russie. Hitler a aussi échoué alors même qu’il avait des chars et des avions. Le froid, l’immensité du territoire et l’avantage d’être en position défensive sont trois facteurs qui combinés confinent à l’insurmontable.

 

 

 

 

 

 

 

 


Le pouvoir monarchique : Napoléon reprend la tradition monarchique de faste, grandeur et alliance du politique au religieux. Il proclame le catholicisme religion officielle de l’Empire et se fait couronner Empereur par le Pape.

 

 

 


Les acquis de la Révolution : Napoléon organise des concours nationaux anonymes, et des examens nationaux anonymes, qui sanctionnent le mérite en ignorant la naissance, les relations, les influences. Il invente le baccalauréat et les concours de recrutement des hauts fonctionnaires dont les préfets.

 

 


  Il encourage les prêts et le capitalisme, crée la banque de France, soutient l’économie de marché, engage de grands travaux pour moderniser la France et faciliter la circulation dans le pays, donc la libre circulation des biens et des personnes, le fameux « laissez-faire, laissez passer » de la Révolution. En soutenant l’industrie, la finance et la technique, le commerce et le marché, il s’éloigne de toute politique conservatrice qui voudrait revenir à une économie plus locale et basée sur la terre.

 

 

 

 

 

 

       En occupant presque toute l’Europe et en lui imposant son code civil et sa manière d’administrer, il facilite et prépare ce qui sera l’unité italienne et l’unité allemande et fait avancer l’idée d’une unité européenne de l’Atlantique à l’Oural. C’est en cela qu’il ouvre à l’Etat Monde mondial qui dépasse les Etats Nation compris comme autant d’individus fermés extérieurs les uns aux autres : on avance vers une mondialisation du politique, que le modèle soit impérial ou fédéral.

 

 

 


 

           Car c’est pour Hegel l’avenir : non la disparition du politique et de la transcendance de l’Etat sur la société comme le pensera Marx, mais au contraire l’institution d’un ordre politique mondial, doté d’institutions mondiales, au sens où Kant l’annonçait déjà. Sauf que chez Hegel la part de signification contractuelle de cet Etat est entièrement dépassée par la nécessité substantielle de sa croissance à laquelle aucune force ne peut s’opposer efficacement.

 


 

     L’Etat Monde mondial existera comme nous existons, sous une forme objective et sous une forme subjective, mais avec cette différence qu’il totalisera tous les possibles et tous les projets qu’une subjectivité peut concevoir, et qu’il totalisera toute l’efficacité qu’on peut imaginer dans une organisation objective. Voyons cela et ensuite nous parlerons du travail chez Hegel.

 

 

     Le désir subjectif d’un homme est d’être libre, d’être aussi heureux qu’on peut l’être sur cette terre, de savoir l’essentiel et de détenir le véritable sens de son existence individuelle ainsi que celui de l’ensemble de l’humanité et de l’univers existant.

 

     L’individu seul ne peut réaliser par lui-même un seul de ces désirs, encore moins tous, et s’il parvenait à en réaliser un, ce serait plutôt dû à la chance qu’à son seul mérite. Chance d’être né au bon endroit au bon moment avec le bon corps et les bonnes rencontres…

 

 


    Mais l’ensemble du Réel réalise sur soi-même un travail par lequel il réalise tout cela non par hasard mais par un processus nécessaire. Toute contradiction créé inquiétude, donc s’oppose à la quiétude, crée mouvement et fait des histoires, qui entrent dans une Histoire. (Quiets, les gens heureux n’ont pas d’histoire.) C’est le fameux TRAVAIL DU CONCEPT, ou TRAVAIL DU NEGATIF, expressions que Hegel fait entrer dans l’histoire de la philosophie.

 

 

 


     Dans l’Etat Monde mondial, où toutes les contradictions et les inquiétudes ont eu l’occasion de se frotter les unes aux autres, tout est organisé de façon à ce que les lois soient aussi justes et satisfaisantes que possible, le savoir est nourri des milliards de fois où des hommes ont pu engager des milliards de formes de confrontation à la nature, et le citoyen d’un tel Etat est aussi libre, aussi heureux, aussi éclairé et scient qu’on peut l’être humainement.  Hegel croit que ce modèle est indépassable, et que bien sûr aucune mystique ne peut rien révéler à un individu qui surpasse ce que Hegel atteint en pensant le savoir absolu dans sa grande culture encyclopédique organisée dans sa grande logique.

 

 

 


     Vivre ensemble dans un Etat Monde mondial doit donc nous combler de satisfaction si nous sommes citoyens actifs et que nous possédons tout ce que cet Etat peut nous offrir après des millénaires de croissance.

 

 

 

 


    Pourquoi Monde ? Parce que cet Etat serait à lui seul un Monde, il n’aurait plus vraiment d’extérieur. La nature aura été tellement transformée par le travail qu’elle sera humanisée et ne résistera jamais significativement aux projets des hommes, seuls quelques cataclysmes pourront se produire de fait et créer des émotions ici ou là mais ils resteront anecdotiques dans leurs effets et seront expliqués par la pensée rationnelle qui ne sera en rien impressionnée par eux. Le plus grand Tsunami étant finalement comme une vague dans une bassine.

 

 

 

 

 


 

 


 

b2) La question du travail chez Hegel.

 

 

 


 

                                      De Kant à Hegel, on est passé d’un travail dans les phénomènes qui ne nous dit rien sur la liberté essentiellement inconnaissable parce que nouménale, à un travail du concept, qui est pris dans une connaissance universelle, mais formalisée et logiciste.

 


     La conséquence est une certaine obscurité chez Hegel concernant le détail de cette contribution du travail à la libération de l’humanité. Autant le travail du concept unifie clairement le système, autant le thème du travail corporel et ses liens avec l’idée sont obscurs.


 

     Hegel est célèbre pour avoir abordé la question du travail par la « dialectique du maître et de l’esclave » même si cette expression n’est pas de Hegel. La difficulté est de situer cette rencontre et ce conflit entre la conscience de celui qui sera le maître et la conscience de celui qui sera l’esclave dans un moment précis de l’Histoire. La solution classique faisant de la Révolution Française la revanche des esclaves sur les maîtres étant tout aussi obscure d’ailleurs.

 


 

     Dans un temps plutôt mythique, historiquement insituable, deux hommes s’affrontent, parce que toute conscience a départ, avant le processus historique,  poursuit la mort de l’autre et ne peut exister que via la reconnaissance d’une autre conscience. Deux hommes s’affrontent : ou bien ils meurent tous deux : sans suite… ou l’un des deux : sans suite.

 

 


     Ou bien soudain l’un d’eux comprend qu’il risque de mourir et donc de tout perdre dans cet affrontement : il propose alors d’échanger sa vie contre sa liberté. Il sera l’esclave, celui qui a peur de la mort. L’autre, celui qui n’a pas peur de perdre sa vie, sera le maître.

 


 

 

         Ensuite, l’esclave va se former par la médiation de la confrontation à la résistance de la matière, et le maître ne va pas bénéficier de cette formation, donc après une longue médiation, l’esclave va devenir le maître du maître, et le maître l’esclave de l’esclave. 

 


 

     Qu’est-ce que cela signifie ? Le Maître croit que la liberté est immédiate, et prend son inconscience par rapport au danger de la mort pour une domination de la mort, mais il aime jouir et a besoin du travail de l’esclave pour satisfaire ses désirs donc il n’est pas aussi affranchi de son corps et de son animalité qu’il le croit ? Le maître est enfermé dans une conception immédiate de la liberté, il croit qu’on est libre tout de suite dans une décision de la volonté : « trépasse si je faiblis ! » La célèbre devise des Montmirail, tandis que l’esclave a compris implicitement que cette conception de la liberté est abstraite et qu’une liberté concrète doit passer par la médiation de la confrontation avec la matière qui par son inertie résiste à la liberté.

 

 


     L’esclave aurait peur de la mort parce qu’elle est le Maître absolu et qu’il aurait une conscience plus lucide, tandis que le noble serait dans l’inconscience de la mort et ne tirerait que momentanément profit de cette inconscience ?

 

 


 

                    Bien sûr l’analyse de Hegel est, comme toujours, géniale, mais on a du mal à la situer dans une logique vraiment nécessaire. D’une part on peut imaginer qu’un travail non esclave a pu se développer ici ou là sans passer par ce genre de dialectique.

 

 


     Ensuite, il est clair que certains arguments sont contournables : Le Maître a besoin d’être reconnu comme Maître par l’esclave, donc il serait dans une contradiction puisque d’un côté il traite l’esclave comme un animal, pire, une chose, sans valeur, indigne parce que attaché à son existence matérielle et incapable de cette noblesse, de ce panache, par lesquels on risque sa vie pour sauver son honneur qui est plus élevé, plus digne, plus spirituel, et d’un autre côté le Maître considère que la conscience de l’esclave, sa reconnaissance, a une valeur, puisqu’il a besoin d’être reconnu libre par l’esclave pour être le Maître. Si l’esclave a une valeur estimable, pourquoi le traiter comme sans valeur, et s’il n’a aucune valeur, pourquoi estimer valable sa reconnaissance, sa conscience, son opinion ? Telle serait la contradiction.

 

 

 

 

 

 

 


      On peut cependant estimer que le Maître se moque de la reconnaissance de l’esclave, qu’il ne s’intéresse qu’à l’utilité de l’esclave, et qu’il désire être reconnu comme Maître par d’autres Maîtres qui eux aussi ont des esclaves.  Dans ce cas, on a deux classes sociales, les dominants et les dominés, et pour ce qui est du désir de reconnaissance, il suffit d’être reconnu par ceux de sa classe, et d’être insensible aux opinions des autres classes sociales, et dans ce cas, avec cet angle d’éclairage, la contradiction précédente perd la majeure partie de son intérêt.

 

 


 

      Opposer aux nobles, qui sont les anciens maîtres, oisifs, occupés seulement de chasse et de pouvoir sur les autres, la bourgeoisie de la révolution française qui serait la révolte des esclaves est tout aussi peu clair, car les bourgeois sont comme des artisans dont l’entreprise aurait grossi et qui se serait rationalisée, mais faut-il penser l’artisan comme un ancien esclave, et penser qu’il n’y a de travail sur la matière que par la domination d’un homme attaché à sa vie par un homme de panache et d’honneur guerrier ?

 

 

 


 

    Il est tout aussi pensable qu’il existe une tradition artisanale distincte de la tradition noble guerrière et qui n’a nul besoin que des guerriers fassent des esclaves pour que les hommes investissent des énergies dans la transformation de la matière.

 

 

 


 

        La leçon de Hegel reste vraie, qu’une conception immédiate de la liberté n’est qu’abstraite par rapport à une conception de la liberté qui s’engage dans une confrontation avec ce qui semble le plus éloigné d’elle, à savoir la matière brute, la masse de la pierre ou du bois. De même il reste vrai que la tentation est grande, quand certaines tâches sont ennuyeuses, répétitives et rébarbatives, d’en imposer l’exécution à d’autres hommes sur lesquels on a acquis une réelle domination, par la force ou par la ruse, mais de là à insérer ces tentations dans une logique historique implacable, avec une chronologie capable d’absorber tous les faits, il y a là une grande difficulté.

 

 


 

                 Ce qui reste intéressant chez Hegel, c’est cette idée qu’une liberté humaine, et surtout une liberté humaine collective, passe par un travail. A la limite, le noble croit qu’il ne travaille pas, mais en réalité son courage et sa manière de s’imposer face aux esclaves et face aux autres nobles supposent aussi un certain travail psychique de soi sur soi.

 


 

     Surtout, Hegel permet de comprendre comment on va passer d’une conception de l’homme pour lequel le travail n’est pas toute sa liberté, à une conception de l’homme où le travail remplit tout, ce qui va arriver avec Marx, mais que Hegel prépare fortement, alors que ce n’est pas encore clair chez Kant, ni dans le christianisme des siècles antérieurs.

 


 

                              En effet, Dieu Trinité est déjà Dieu et est déjà libre sans avoir besoin de créer l’univers, qu'il crée un univers fini ou infini (en fait l'univers observable est métaphysiquement et ontologiquement fini mais composé ou bien de choses finies en nombre fini ou bien de choses finies en nombre infini). Dieu tel que le révèlent l’Ancien ou le Nouveau Testament n’a pas besoin de travailler pour être libre ni pour être Dieu. L’acte de création n’est pas du tout un travail au sens d’un effort, d’une peine, encore moins d’une souffrance, il est seulement un travail au sens de la production d’une œuvre, au sens d’une activité, mais si c’est un pur don, aussi simple qu’une volition ou une parole, ce n’est même pas un travail au sens d’une activité qui œuvre sur quelque chose. Appeler travail la création ne va pas de soi, même si on en retire tout effort, toute peine, toute souffrance.

 

 


 

             Par contre, à partir du moment où Hegel envisage que Dieu ne serait pas Dieu s’il ne produisait pas le fini et les tensions, les conflits, les transformations par frottements de forces inévitables dans le fini, il fait du travail une catégorie nécessaire non seulement pour que les hommes se libèrent, mais pour que Dieu soit Dieu. Sinon il aura le fini en dehors de lui et ne sera pas vraiment l’infini.

 


 

   En faisant du travail une condition nécessaire, non seulement à la liberté des hommes, mais à celle de Dieu lui-même, Hegel ouvre une voie considérable de valorisation de la notion.

 

  

                   D’une certaine manière, Marx sera moins cohérent que Hegel parce qu’en niant Dieu, il lui sera difficile de penser un universel fort et de jeter un éclairage suffisant sur la conscience, sur la parole ou sur la volonté qui vont devenir de simples particularités sans réelle autonomie concevable. Mais par contre, parce qu’il est matérialiste, il va au moins redonner au corps son importance, et va s’éloigner de l’idéalisme hégelien dont la logique n’est pas toujours facile à rattacher aux faits sans les simplifier ou les forcer. La notion de travail, en prenant une forme plus clairement corporelle et plus clairement sociale, va sous cet angle devenir plus cohérente.

 

           Sans doute est-il impossible de douter que Hegel est un philosophe, quelles que soient les réserves qu'on puisse émettre sur la légitimité de sa philosophie, autant on peut discuter pour savoir si Marx est ou non un philosophe, puisque lui-même semble dire que Hegel a achevé la philosophie et qu'il s'agit maintenant de passer à l'action.  "Jusqu'ici, les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde. Maintenant, il s'agit de le transformer."

 

            Par contre on ne peut douter que Marx a vraiment mis le travail au centre de sa réflexion, non sous une forme métaphorique, (le travail du concept chez Hegel) mais dans sa dimension d'effort par lequel le corps mortel des hommes se confronte à un environnement matériel qui n'a pas de complaisance ni de bienveillance à l'égard de l'homme, et peut même se montrer franchement hostile.

 

 

 

b3)  Petite addition: existence et réalité chez Hegel, ou qu'est-ce que le savoir absolu? Et qu'en est-il du libre-arbitre?

 

          Comment Hegel peut-il prétendre totaliser le Réel? Il faut bien comprendre ce qu'est la réalité chez cet auteur, qui est nettement distincte de l'existence.

 

 

          La réalité, c'est la wirklichkeit, l'ensemble de l'agir efficient ou efficace. L'ensemble des actes qui permettent de passer de la non liberté à la liberté est l'ensemble du réel.  Un acte n'est pas un mouvement genre pierre qui roule, ou un comportement, genre lapin courant dans les vignes, mais ce que fait la liberté. 

 

         Si l'on met mille ans à passer de l'homme nu impuissant et ignorant du début de l'Histoire, à l'Etat Monde mondial où l'homme est aussi lucide, heureux et puissant qu'on peut l'être dans le fini, alors on a été plus agissant, plus réel, plus rationnel, que si on a mis cinquante mille ans à effectuer le même parcours. 

        

          Dans cette deuxième hypothèse, on a existé pendant quarante mille ans sans être réel, on a existiert sans être wirklich, sans wirken, sans agir.

 

      

 

                      C'est ainsi que Hegel dit: le libre arbitre existe, mais il n'est pas réel.  Tant qu'on agit sans grande efficacité, on a le choix entre nager la brasse, le crawl, ou sur le dos en battant des pieds, mais si l'on doit gagner un course de vitesse, on n'a plus le choix des moyens, une seule nage est efficace, wirklich, c'est le crawl. Donc quand on agit en vue d'être le meilleur, le libre arbitre est secondaire, il n'existe plus, seul est réel le moyen le plus efficace. 

 

             Napoléon est réel parce qu'il prend les moyens efficaces pour faire avancer l'Histoire universelle, même s'il n'est qu'égoïste et mû par ses passions mégalomaniaques, il s'agit d'une Ruse de la Raison universelle qui se sert des passions, face cachée de la Raison, pour atteindre son but: la synthèse sujet/objet et le dépassement de toutes les contradictions qui ont mis l'Histoire en marche.

Postures sur le libre-arbitre:

-Il existe à la manière d'une connaissance certaine et immédiate, de nature intuitive, Descartes: "Le libre arbitre se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons."

-Il n'existe pas mais n'est qu'illusion: Spinoza. Nous connaissons nos actes et pensées, ignorons leur cause suffisante, avons l'impression trompeuse d'un surgissement spontané du en réalité à une causalité inconnue.

-Kant: Descartes et Spinoza se trompent tous deux, l'un croit savoir que le libre arbitre existe, l'autre croit savoir qu'il n'existe pas. Or notre connaissance ne porte pas sur le réel véritable et absolu, noumènes, mais sur les phénomènes:on peut donc croire que le libre arbitre existe ou croire qu'il n'existe pas mais on ne peut le savoir. C'est seulement un devoir moral de croire au libre arbitre, donc un impératif de raison pratique, non une connaissance théorique.

Hegel entend aller plus loin que Kant, et passer au savoir:savoir que le libre arbitre existe bien, mais qu'il n'est pas à lui-seul efficace, réel.

 

Pour finir le réel n'est donc pas l'existence, car le réel est seulement la totalité des actes efficaces par lesquels la liberté surmonte les contradictions qui l'inquiètent = la mettent en mouvement, l'arrachent à la quiétude.

 

          Ce lapin existe mais n'est pas réel. Le savoir absolu ne consiste pas à connaître combien il y a eu de poils sur chaque mammifère qui a existé depuis de début de l'évolution et combien de cellules a contenu chaque végétal et chaque animal depuis la formation de la terre, cela n'est que l'existence, mais combien d'actes significatifs la liberté doit poser pour totaliser ce grand parcours qu'est la réalité, le passage de la non liberté à la liberté totale. La totalité des actes de la liberté englobe ici la liberté divine et la liberté humaine dont certains individus, ceux qui sont réels, ont été l'occasion contingente, dans l'existence. 

 


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